US: Le soja est le révélateur d'une crise plus grande
Si la reprise des importations de soja a relancé l'espoir d'une trêve durable entre la Chine et les Etats-Unis, l’administration US ne pourra occulter les problèmes structurels du secteur agricole.
La détente des relations chinoises n’a pas été confirmée par le USDA (US Department of Agriculture) le 14 novembre 2025, dans sa première publication depuis le shutdown. Les volumes de soja exportés vers la Chine - 332 000 tonnes métriques entre octobre et novembre - restent anecdotiques au regard des 12 millions de tonnes métriques (Mt) annoncés par Washington à la suite du “G2” de Busan, en marge du sommet de l’APEC. Interrogé sur ces chiffres, Donald Trump a affirmé à plusieurs journalistes que la Chine allait acheter “beaucoup de soja” avant le printemps 2026, ainsi que “beaucoup de tout le reste”.
Contrairement aux États-Unis, la Chine ne s’est engagée sur aucune quantité. Elle a confirmé la baisse des droits de douane pesant sur les produits américains, effective depuis le 10 novembre, et rétabli les licences de trois sociétés d’export américaines. Le 11 novembre, le MOT (Ministère des Transports) a annoncé la suspension pour une année des taxes portuaires frappant les cargos américains.
D’autres signaux ont entretenu le doute. Les agriculteurs américains, pourtant arrivés en force au CIIE (China International Import Expo) de Shanghai qui s’est tenu du 5 au 10 novembre, sont repartis sans aucune commande significative. Leurs concurrents brésiliens, en revanche, ont conclu des accords dépassant 10 milliards de dollars avec l’opérateur public Cofco.
“Pour les agriculteurs dans l’Iowa, le soja est devenu à la fois une subsistance et un signal – un rappel que dans l’économie mondiale, même les relations privilégiées peuvent être échangées, si le prix est juste”, résume la recherche d’Allianz Trade.
La Chine envoie des signaux rassurants, mais avec parcimonie
Le pessimisme qui commençait à s’installer a été contredit le 17 novembre. Cofco aurait acquis près d’1 Mt de soja U.S. pour une livraison en décembre et janvier, selon Reuters.
Sur le papier donc, tout est revenu à la normale. Cependant, rien n’indique que les volumes vont suivre.
Tout d’abord, bien que les autorités chinoises ne communiquent pas officiellement sur leurs stocks de soja, des analyses relayées par Reuters évaluent ces derniers à des niveaux historiquement hauts : dans les ports (plus de 10 millions de tonnes métriques, en hausse de 33 % sur un an), comme dans les réserves stratégiques (entre 40 et 45 millions de tonnes métriques, soit 5 mois de consommation).
Ensuite, malgré le retrait des droits de douanes appliqués en réponse au Liberation Day américain, le soja U.S. continue de se voir appliquer 13 % de droits de douane par la Chine, contre 3 % pour le Brésil.
Ces facteurs rendent les importations “dépendantes d’achats dirigés par l’État et de gestes de bonne volonté”, selon Rabobank, qui estime que les exportations américaines vers la Chine au cours de la saison 2025/2026 ne devraient pas dépasser 12 Mt, “soit bien en deçà des chiffres enregistrés ces dernières saisons”.
Enfin, l’accumulation des stocks mondiaux devrait se poursuivre en 2025/26 et 2026/27, freinant l’évolution des prix.
Le soutien à l’agriculture est une priorité
L’addition de ces facteurs a mis à mal les perspectives de revenus de tout un secteur, provoquant une forte augmentation des défaillances depuis le début de l’année. L’administration Trump a donc placé le soutien à la filière au cœur de ses priorités.

Dès la fin du shutdown, l’administration a clairement établi ses priorités budgétaires. Le budget du USDA (Département de l’Agriculture) a été ainsi sanctuarisé pour l’intégralité de l’année fiscale 2026, soit jusqu’en octobre 2026. Il est le seul : les budgets des autres départements fédéraux n’ont été garantis que jusqu’à l’expiration du délai de financement temporaire (Continuing Resolution), fixé à la fin du mois de janvier 2026.
Les agriculteurs attendent désormais le versement des aides financières promises. Un montant total de 12 milliards de dollars avait été évoqué avant le shutdown. Donald Trump avait fait part de son intention de flécher une partie des droits de douane collectés au financement du MFP (Market Facilitation Program), un programme fédéral d’aide directe aux agriculteurs. Cependant, un financement reposant pour tout ou partie sur ces recettes est mis en risque par l’examen de la constitutionnalité de la politique tarifaire américaine par la Cour suprême, ce qui ajoute une incertitude supplémentaire à la pérennité du programme et à la trésorerie des exploitations agricoles.
Les droits de douane commencent à révéler leur impact systémique
À court terme, la Maison Blanche cherche à limiter la casse. Une liste de plus de 200 produits agricoles désormais exemptés de droits de douane a été publiée le 14 novembre, incluant certaines catégories d’engrais, dont la hausse totale pour l’année 2025 devrait atteindre +21 %, selon les dernières estimations de la Banque mondiale, publiées le 29 octobre dernier.
“Les producteurs de soja prennent actuellement des décisions financières difficiles alors qu’ils planifient les plantations de l’année prochaine, après une saison de récolte pleine de défis. L’action menée aujourd’hui par le président Trump aidera à réduire les coûts pour une composante clé de la production de soja”, s’est félicité Caleb Ragland, président de l’ASA (American Soybean Association) et producteur de soja du Kentucky.
Ce nouvel épisode dans la guerre tarifaire engagée depuis le Liberation Day, en avril 2025, signe un revirement dans une politique commerciale qui peine à s’inscrire dans une stratégie lisible, et témoigne d’une inquiétude grandissante alors que la hausse des prix pourrait s’étendre à d’autres biens et services, et se poursuivre en 2026, les droits de douane ne jouant plus qu’un rôle secondaire dans cette tendance. La levée des droits de douane est le signal d’alarme : l’administration est contrainte à l’action pour protéger le pouvoir d’achat des ménages.
Pour aller plus loin …
Les données publiées par la Fed d’Atlanta le 12 novembre dernier montrent que “les entreprises attribuent un peu moins de 40 % de l’augmentation totale de leurs coûts unitaires en 2025 et 2026 aux tarifs douaniers.” L’enquête indique en outre que “les répondants s’attendent à augmenter leurs prix tout autant en 2026 qu’en 2025, et qu’une grande partie de cette impulsion n’est pas directement due aux tarifs.”



